Le maquillage, bien plus qu’un simple rituel de beauté, a traversé l'histoire comme un symbole puissant de l’expression féminine, avec parfois un rôle ambivalent. On en parle avec Alexis Robillard, fondateur de ALL TIGERS
Le maquillage est-il dans l'Antiquité un outil de statut et de pouvoir ?
Alexis Robillard "On retrouve des témoignages de l’utilisation du maquillage dès l'Antiquité, notamment dans l'Égypte ancienne, et il ne se limitait pas à l’embellissement. Les pharaons et la noblesse appliquaient du khôl autour des yeux non seulement pour rehausser leur regard, car cela participe aussi à affirmer le pouvoir et avec un rôle spirituel de se protéger symboliquement d'esprits maléfiques. La reine Cléopâtre, icône de beauté et de pouvoir, en est le parfait exemple : sa beauté était légendaire, et le maquillage participait à l’image de puissance qu’elle véhiculait et véhicule encore à ce jour.
En Mésopotamie et en Grèce antique, le maquillage servait également de marqueur social. Les femmes appliquaient des poudres à base de plomb blanc pour blanchir leur teint, une pratique réservée aux classes supérieures. Cette distinction symbolisait la richesse et la noblesse, traduisant l’idée que l’apparence pouvait influencer la perception du statut et de l’autorité."
Au Moyen Âge, il semble que le maquillage ait tracé un chemin plus ambivalent ?
AR : "Ce que l'on sait, c'est que pendant le Moyen Âge, le maquillage subit un net recul. Dans une Europe marquée par la tradition chrétienne, l’usage des cosmétiques était souvent associé à la vanité et à la dépravation. Les femmes qui se maquillent prennent alors le risque d’être jugées moralement si leur mise en beauté est perçue comme trop ostentatoire, exagérée. Cependant, dans les cours d'Europe, évidemment, les rituels de beauté persistent. Et si l'on pense par exemple à Élisabeth I d'Angleterre, c'était même une manière d'asseoir une image d’autorité. Sa peau très blanche et son rouge à lèvres vif étaient des signes immédiat de reconnaissnce et symbolisait son pouvoir incontesté et de sa singularité."
Parce que tout change à la Renaissance ?
AR - "La Renaissance réintroduit l’art de se maquiller, mais toujours avec une ambiguïté, entre la coquetterie et l’obligation de modestie. Les teints pâles -réhaussé par l'utilisation de poudres alors toxiques - sont le symbole visible d'une forme de hiérarchie sociale.
Le maquillage à chaque époque va naviguer entre discrétion et affirmation, comme un marqueur visible des moeurs, par exemple on voit qu'à l’époque victorienne on va préconiser la discrétion en matière de maquillage, considéré alors comme trompeur et réservé aux actrices et aux femmes à la vie soi-disant dissolue, en tout cas selon la vision de l'époque. La liberté des femmes a toujours été jugée risquée, qu'il faut nécessairement brider, et le maquillage porte l'idée d'une créativité libérée, qui induit un jeu de seduction : c'est forcément suspicieux"
Le 20e siècle est un tournant...
AR - "Le 20e siècle signe l'avènement d'un maquillage émancipateur. Un mouvement comme les suffragettes, qui militent pour le droit de vote des femmes, vont porter ostensiblement un rouge à lèvres comme un symbole de rébellion et de libération. Cette période marque l'amorce de l’appropriation du maquillage comme un outil d’expression de soi et bien sûr de revendication féministe.
Dans les années 1920, le mouvement flapper, ou "garçonne" en France, change la donne. C'est d'abord un look, et le maquillage est essentiel dans ce look. Les femmes arborent les lèvres foncées, des yeux charbonneux, des cheveux courts, défiant les conventions et affirmant leur indépendance. L’essor des films muets a aussi popularisé le maquillage, influençant des millions de femmes à travers les figures emblématiques du cinéma de l'époque.
C'est aussi une période où les marques de cosmétiques sont de plus présentes et puissantes notamment par la publicité, et évidemment leur discours va façonner ou amplifier ce qui travers la société d'alors.
Pendant la Deuxième Guerre Mondiale, on pourrait dire que le rouge à lèvres incarne une frontière idéologique. C'est le symbole d'une féminité instrumentalisée, outil de propagande. Adolf Hitler, disait-on, détestait "les femmes peintes", incarnées par le rouge à lèvres, comme un symbole de débauche occidentale, et d'un luxe qui n'est pas à l'ordre du jour en temps de guerre. Côté Américain, c'est un emblème de patriotisme : loin du front, si les femmes font tourner la société, le lipstick fièrement arboré semble les ramener, plus ou moins insidieusement, à l'injonction de la féminité. Ce n'est évidemment pas aussi tranché, mais c'est intéressant de voir comme le maquillage est aussi un marqueur politique"
Mais l'après-guerre marque le retour au conformiste, à une vision sexualisée de la femme ?
AR - "Après la guerre, finie l'émancipation : le rouge à lèvres bien rouge redevient un nouveau conformisme, l'uniforme de la ménagère, que l'on porte au quotidien dans une société où les femmes sont plus que jamais ramenées aux stéréotypes de genre et sexualisées dans la publicité. Les années 1960 voient néanmoins émerger une autre vague d'émancipation où le maquillage redevient un symbole de liberté : il ose ses couleurs vives et ses styles audacieux, s'autorise toutes les créativité, appuyé par des icônes telles que Twiggy et Brigitte Bardot. Les courants pop, le flower power, les punks, à chaque période ses tribus et des habitudes de maquillage leur est toujours associé"
On y voit moins clair par la suite, le lipstick est-il féministe ou non ?
AR - "Il n'y a pas un mais des mouvements féministes. Ils vont faire du lipstick, tour à tour, des années 70 aux années 90, et selon les courants qui traversent la libération des femmes, le symbole d'une féminité corsetée ou au contraire d'hyperpuissance revendiquée, mais toujours un sujet politique : en porter ou non n'est jamais neutre, cela reste un sujet qui dépasse le simple choix personnel, marque l'appartenance à un courant de pensée, l'adhésion à ou le rejet d'une certaine vision de la femme."
Le maquillage aujourd’hui, on voudrait le voir comme plus libre, moins imposé, comme un outil de confiance en soi ?
AR - "Dans les dernières décennies, le maquillage continue de jouer un rôle fondamental dans l'affirmation de soi. Affranchi des conventions classiques, il ne se contente plus de souligner la beauté naturelle ; il est un moyen de communication et de prise de position, mais aussi de célébration de chaque personnalité, de chaque singularité.
Qu'on adore ou qu'on déteste le maquillage, il faut toujours le revendiquer. Sur les réseaux sociaux il devient un sujet de conversation, un moyen d''expression, un sujet de passion, de collections. En porter ou ne pas en porter, choisir parmi d'innombrables couleurs ou finis, dépasser les limites traditionnels des genres, ouvrir de nouvelles formes de manière d'incarner la féminité ou la masculinité, les tendances récentes montrent un retour aux looks affirmés, adoptés par des mouvements qui célèbrent la diversité corporelle et l’acceptation de soi. Les produits portent en plus des convictions, comme la gamme ALL TIGERS, reflétant une nouvelle forme de pouvoir décisionnel : le choix éthique et personnel, qui soutient la confiance en soi tout en respectant ses propres valeurs.
Au fil du temps, le maquillage s’est transformé, outil de puissance féminine, acte de résistance contre les normes ou célébration de sa propre singularité, affranchi des frontières de genre."